L'invention de la réalité

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Comment savons-nous ce que nous croyons savoir ?

Contributions au constructivisme

P. Watzlawick, E. Von Glaserfeld, H. Von Foerster, R. Riedl, D. L. Rosenhan, R. Breuer, J. Elster, G. Stolzenberg, F. J. Varela, 1985

ISBN 2020294524

Préface

Comment savons-nous ce que nous croyons savoir ? Cette question, apparemment simple, met en fait en jeu trois domaines de pensée qui occupent l'esprit humain depuis des milliers d'années. On considère généralement ce que nous savons comme le résultat de notre investigation et compréhension du monde réel, de la manière dont les choses existent réellement. Après tout, le bon sens laisse supposer qu'on peut découvrir cette réalité objective. Par conséquent, le titre de ce livre est absurde : une réalité inventée ne peut à?? précisément parce qu'elle est inventée à?? être la vraie réalité. Comment nous savons est un problème beaucoup plus embarrassant : pour le savoir, l'esprit doit, pour ainsi dire, sortir de lui-même, et s'observer au travail ; en effet, on ne se trouve plus alors face à des faits qui existent en apparence indépendamment de nous, dans le monde extérieur, mais à des processus mentaux dont la nature n'est pas du tout évidente : à cet égard, le titre de ce livre est un peu moins absurde. En effet, si ce que nous savons dépend de comment nous sommes parvenus à le savoir, alors notre conception de la réalité n'est plus une image vraie de ce qui se trouve à l'extérieur de nous-mêmes, mais elle est nécessairement déterminée aussi par les processus qui nous ont conduits à cette conception.

Mais, maintenant, qu'en est-il du mot croire? C'est là précisément que le sujet de ce livre prend son point de départ. Il traite d'un thème que les philosophes présocratiques connaissaient déjà, mais qui prend aujourd'hui une importance pratique grandissante, à savoir la conscience croissante que toute prétendue réalité est à?? au sens le plus immédiat et concret du terme à?? la construction de ceux qui croient l'avoir découverte, et étudiée. Autrement dit, ce qu'on suppose découvert est en fait une invention ; mais, l'inventeur n'étant pas conscient de son acte d'invention, il la considère comme existant indépendamment de lui. L'invention devient alors la base de sa conception du monde et de ses actions.

Depuis des siècles, le quoi et le comment on sait constituent le sujet de recherches philosophiques approfondies, connues des spécialistes respectivement sous le nom d'ontologie (la branche de la métaphysique qui traite de la nature de l'être) et d'épistémologie (l'étude de la manière dont on parvient à la connaissance). Pour ce qui concerne le troisième aspect que nous venons de mentionner, l'« invention » de la réalité, un terme malheureux à?? celui de constructivisme à?? est de plus en plus généralement accepté. Malheureux, d'abord, parce que le mot a déjà une signification établie, mais un peu différente, en philosophie classique ; ensuite, parce qu'il fait référence à un mouvement artistique de courte durée, et qui fleurit en particulier dans l'architecture soviétique des années vingt ; enfin, parce qu'il est affreux. Si ce nom ne s'attachait déjà à notre production intellectuelle, on préférerait l'expression plus prosaïque de recherche de la réalité. Dans ce volume, des spécialistes de divers domaines expliquent l'invention (la construction) des réalités scientifiques, sociales, individuelles et idéologiques comme le résultat de l'inéluctable besoin d'approcher la réalité supposée indépendante, « là-bas », à partir d'hypothèses de base que nous considérons comme des propriétés objectives de la réalité réelle, alors qu'elles ne sont en fait que les conséquences de la manière dont nous recherchons la réalité. Ce livre est ainsi un ensemble d'essais sur le thème du constructivisme. Il ne constitue ni une thèse, ni une étude exhaustive. Un travail de ce type demanderait un auteur et directeur bien plus compétent que je ne le suis, qui, dans une vaste synthèse, aurait à suivre le développement du constructivisme de l'Antiquité à Giambattista Vico, Emmanuel Kant, David Hume, Eduard Zeller, Wilhelm Dilthey, Edmund Husserl, Ludwig Wittgenstein et le Cercle de Vienne, Jean Piaget, Erwin Schrôdinger, Werner Heisenberg, George Kelly, Peter Berger et Thomas Luckmann, Nelson Goodman, Edgar Morin, Jean-Pierre Dupuy, Henri Atlan et bien d'autres penseurs, pour ne pas nommer les grands cybernéticiens contemporains, et les poètes et écrivains qui, à leur manière, en ont toujours su long sur ce thème.

Mais cette synthèse n'est pas encore accomplie ; les ponts entre ces différentes disciplines ne sont pas encore construits. Ce qui unit les auteurs qui ont contribué à cette étude, c'est leur intérêt pour le constructivisme, et leur volonté de le décrire ici. Le lecteur constatera sans beaucoup de surprise que, en dépit de leur thème commun, les différentes contributions constituent comme des blocs erratiques, de style et de degré d'abstraction très divers, et qu'elles contiennent des contradictions et répétitions manifestes (par exemple, l'esprit d'Epiménide le Crétois, qui fait des apparitions fantomatiques dans plus d'un essai). Après tout, ces traités ont leur origine dans des disciplines très différentes, et seulement quelques-uns des auteurs se connaissent personnellement. (Je suis le seul, en tant que directeur de cette publication, à les connaître tous.) J'ai écrit des commentaires introductifs aux différents chapitres, en espérant que, lus pour eux-mêmes, ils puissent constituer un essai sur le constructivisme. Je fais appel à l'indulgence du lecteur dans la mesure où on ne peut, au mieux, réussir que partiellement une entreprise aussi ambitieuse. Enfin, je voudrais faire remarquer que les commentaires ne reflètent pas nécessairement les conceptions exposées dans les contributions.

Villach, Autriche. Paul Watzlawick. et Palo Alto, Californie.

Couverture

Nous construisons le monde, alors que nous pensons le percevoir. Telle est l'idée force de ce recueil qui tente d'élaborer, dans les disciplines les plus diverses, ce point de vue constructiviste. Ce que nous appelons "réalité" (individuelle, sociale, idéologique, ou même scientifique) est une interprétation, construite par et à travers la communication. Opposé à tous les totalitarismes, le constructivisme, refuse par ailleurs tout éclectisme mou. Il débouche sur une éthique forte de la tolérance et de la responsabilité. Ce livre comporte, entre autres, des contributions de E. von Glasersfeld, H. von Foerster, D.L. Rosenhan, G. Stolzenberg et F.J. Varela. P. Watzlawick, outre ses contributions propres, a assumé la direction de l'ensemble.

Quatrième de couverture

Ce livre collectif marque une étape importante dans la réflexion de l'école dite de Palo Alto, car il élabore de façon rigoureuse et systématique l'épistémologie constructiviste sous-jacente à sa pratique thérapeutique. Nous construisons le monde, alors que nous pensons le percevoir. Ce que nous appelons " réalité " (individuelle, sociale, idéologique) est une interprétation, construite par et à travers la communication. Un patient est donc enfermé dans une (construction systématisée, qui constitue son monde à lui : dès lors la thérapie va consister à tenter de changer cette construction. On mesure l'importance de ce pas théorique : en lui sont déjà contenus en germe les développements ultérieurs de la thérapie systémique. On sait que celle-ci s'éloignera de plus en plus d'une épistémologie de la vérité en formulant son objectif comme le simple remplacement d'une construction du monde douloureuse et pathogène par une autre construction, plus saine parce que plus viable.

Catégorie:Théorie de la communicationCatégorie:ConstructivismeCatégorie:Ref:Livres